La dispersion d’une partie de la collection d’Antoine de Galbert ponctue une année particulièrement riche pour l’Art Brut. Plus de 200 œuvres qui permettent de lever le voile sur la rencontre entre des artistes et un collectionneur “hors norme”.
2025 marquera sans aucun doute un véritable tournant dans la reconnaissance publique et institutionnelle de l’Art Brut en France. Deux ans après la donation historique du collectionneur Bruno Decharme - près de mille œuvres - au centre Georges Pompidou, plus de quatre cents d’entre elles sont visibles tout l’été et jusqu’au 21 septembre au Grand Palais à Paris.
Une belle façon d'effacer le souvenir du désintérêt des musées nationaux au milieu des années 70, lors de la donation avortée de Jean Dubuffet, père spirituel de l’Art Brut. Sa collection d'œuvres d’artistes “hors normes”, plasticiens d’un ailleurs autant réel que rêvé est finalement accueillie par la ville de Lausanne en 1976 qui inaugure pour l’occasion un musée. “C’est justement en visitant le musée de Lausanne à l’orée des années 80 qu’Antoine de Galbert reçoit l’un de ses premiers grands chocs esthétiques” confie Florence Latieule, directrice du département Art moderne et contemporain de Piasa. Depuis lors, le collectionneur n’a cessé de collecter, de façon boulimique, “coïtale” selon ses propos rapportés par le quotidien le Monde en 2008, des oeuvres qui échappent à tout contrôle et dont les fondements s’inscrivent dans une intuition artistique qui n’est pas toujours vécue comme telle par les créateurs.

Le mercredi 24 septembre, Piasa propose aux enchères, en deux sessions, une partie de la collection d’Antoine de Galbert. Quelque 200 lots qui permettent d’approcher le parcours du fondateur de la maison rouge, haut lieu pendant 15 ans de la transversalité artistique moderne et contemporaine. La première vacation s’ouvre sur un artiste important pour le collectionneur, Philippe Dereux, régulièrement exposé dans sa galerie grenobloise inaugurée en 1987. Six œuvres du “Maître des épluchures” révélé au public lors de son exposition monographique “Sagesse des épluchures” en 2003 à la Halle Saint Pierre, sont présentées. Mélancolie (1974), Masque de faune (1976) ou Carnaval (1998), techniques mixtes où se mêlent peinture, pelures de fruits et de légumes sont estimées entre 3 000 et 4 000€. Suivent peu après 16 gouaches et aquarelles du généticien et peintre russe Eugène Gabritschevsky, diagnostiqué schizophrène dans les années 30. L’artiste sauvé de l’oubli par le galeriste Alphonse Chave et exposé à la maison rouge en 2016 est reconnu pour son univers singulier, d’un naturalisme troublé par des personnages fantomatiques ou des formes spectrales (Composition, 2 000 / 3 000€).
La vente du soir consacre des plasticiens pour la plupart reconnus par le marché. Parmi les plus spectaculaires, les sculptures d’Alfred Marié et de sa compagne Corinne semblent tisser des liens entre l’architecture, l’horlogerie et le Palais idéal du facteur Cheval (La grande table, 2000, 60 000 / 90 000 €). Autres liens, ceux qui unissent la plasticienne américaine Judith Scott, sourde, muette et atteinte de trisomie 21 à sa sœur jumelle Joyce. Ses sculptures de laine tissée prennent ici la forme d’un cocon qui évoque peut être une quête de renaissance (Sans titre, (Ballerine), 1995, 50 000 / 70 000 €).
Enfin, l’artiste suisse Louis Soutter est le parfait exemple de la porosité entre deux mondes, celui parfois secret de l’Art Brut et celui des recherches artistiques contemporaines. Dépressif, interné à 50 ans dans un hospice pour vieillards mais soutenu par son cousin Le Corbusier, il se lance dans un processus de “désapprentissage” (déconstruction dirait-on de nos jours) dont la modernité a séduit la galerie internationale Karsten Greve qui le représente aujourd’hui (Parvis, 1937, 300 000 / 400 000 €).
“Antoine de Galbert n’a jamais eu de stratégie, conclut Florence Latieule. Il a collectionné les artistes et les œuvres qui lui parlaient. L’aventure de la maison rouge lui a permis de montrer ce qui lui plaisait, de partager avec les autres ses coups de cœur. Cette vente n’est en ce sens que la transmission d’un héritage.”