La technique constitue un sujet d’expérimentation fondamental pour Peder Moos. Il ne dessine quasiment pas, pour un projet trois traits suffisent, il y ajoute quelques notes d’intention. Alors que Kaare Klint prend le corps pour référence, Peder Moos prend le bois et ses qualités comme point de départ, il en analyse la force, le caractère. « Le meilleur matériau est le bois massif dont la qualité peut s’appréhender avec la main, le deuxième type de bois doit être différent en couleur du premier, mais avoir la même densité. Les incrustations, chevilles, tenons mettent l’accent sur la forme et la technique. Ces différents éléments donnent vie au meuble. » Préalablement à toute réalisation, il conçoit un prototype avec un bois ordinaire pour s’assurer de la justesse du projet. La version finalisée est en bois précieux et souvent tout à fait conforme à sa maquette. Le temps nécessaire pour cette double réalisation, explique le prix des oeuvres de P. De la conception à la fabrication, il maîtrise la globalité du projet. Une seule fois il a exécuté un meuble qu’un autre avait dessiné.

Lot 56 - Peder Moos (1906-1991)
Paire de miroirs
Pin d'Oregon et miroir
Signés Moos A35-1945/2
Date de création : 1945
H 50,5 × L 35 cm
Provenance : Østrupgård House Faaborg, Denmark
Resultat : 2 340€
Il se distingue de ses confrères, qui travaillent sur plan. Il a pu observer dans les arts décoratifs français que les chefs-d’oeuvre sont conçus pour une clientèle élitiste, raffinée et exigeante. Il explique dans un article de 1947 sa source d’inspiration. « Mon inspiration est liée à la nature et à la technique dans toute sa richesse et sa beauté. » Enfant né en pleine nature il en admire la simplicité et la perfection. « Regarde un animal en liberté, peu importe la façon dont on le regarde, il est parfait. Quel que soit le point de vue, il forme avec son squelette un ensemble cohérent, les pattes sont tout à la fois fines et solides. » Cette métaphore permet une compréhension de sa démarche créative. La construction de ses meubles est en adéquation avec la structure, le bâti, il en livre l’essentiel, en évitant tout superflu de matière. Une référence avec l’art nouveau s’impose dans l’expression organique de certains de ces modèles, « Une esthétique qui n’obéit qu’à ses propres règles une fin en soi. »

Lot 57 - Peder Moos (1906-1991)
Cinq patères
Teck, palissandre et vis en laiton
Date de création : 1944
H 7,5 cm, 5 cm, 2,5 cm, 2,5 cm, 2,7 cm
Resultat : 2 600€
Comme dans la nature, il conçoit des meubles aux lignes extrêmement fines, ce sont des réactions stupéfiantes d’audace. Pour atteindre la forme idéale, il procède par soustraction de matériau et pousse sa recherche aux limites du possible, son attitude étonne, il résume sa démarche en parlant « d’une économie des formes. Lorsque tout ce qui est superflu est éliminé, le but est atteint. ». Pour renforcer certains points, lorsque c’est absolument nécessaire, il ajoute du volume comme dans la terminaison du pied en forme de boule ou bien il choisit d’utiliser des bois plus denses. Le dossier des chaises est fragile car il reçoit un impact important, il le renforce. Le calcul de la structure du meuble est précis et intelligible. Il utilise des bois massifs pour les plans et des bois en lamellé collé pour marquer les points de jointure ou cacher des détails techniques, pour cacher des fils de lampe par exemple. Un signe distinctif de son travail est l’incrustation de motifs constitués par des clavettes, des chevilles qui soulignent l’assemblage. Prétexte pour produire un effet décoratif, il utilise des bois aux couleurs contrastées, visibles. Même s’il affirmait « Il n’y a pas de choses inutiles dans mes meubles, tout a une fonction constructive. » Plusieurs exemples prouvent qu’il était sensible à l’esthétique, comme le confirme son fils Bjarne. « Il a embelli la construction tout en respectant la technique, s’il n’avait pas pris des bois différents, les assemblages auraient été invisibles. » Il s’en défendait pour se différencier des membres de la Guilde qui produisaient des meubles de style aux inutiles ornements.
Le personnage est particulièrement singulier et libre, il ne produit que très peu de meubles il crée chaque élément comme un peintre ou comme un sculpteur, il en évalue la couleur, les contrastes et le volume. Un monogramme qui évoque les deux jambes du M de Moos, ou selon certaines interprétations comme le XX de XXème siècle, scelle le projet. Parfois il signe et date ses meubles ou objets au dos d’une écriture rouge. La finition, dernière étape de la réalisation est une phase primordiale. Il polit la surface avec de la paille de fer de plus en plus fine, entre chaque polissage il mouille la surface. Pour la dernière passe, il frotte la surface avec des copeaux de bois de sapin, une technique rare qui donne à la surface un velouté inimitable et un brillant soyeux. La main peut caresser la peau du meuble qui est sans grain, ni défauts. « Les copeaux les plus fins, bois contre bois, la lumière est brisée car les défauts sont visibles, il y a encore un grand chemin à faire. »
Extrait de Peder Moos dit P., par Anne Bony, aux éditions PIASA, septembre 2014