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Le monde de Jérôme Abel Seguin

4 avril 2024

Quand on demande à Jérôme Abel Seguin de se situer dans l’histoire de son art, il ne répond pas immédiatement. D’une voix dont le timbre et la diction voyagent entre les coteaux de l’entre-deux-mers et les îles de la Sonde, il finit par lancer un nom, qui est un monument : Donald Judd. On pourrait y ajouter celui de d’Isamu Noguchi. Un programme qui place à une distance suffisante les modèles, qui explore les limites entre les champs artistiques et ne s’interdit pas de creuser la matière de ce qu’on appelle arts décoratifs ou populaires. Un programme hardi, qui s’appuie sur un brutalisme doux, oxymore que les bois dits exotiques permettent de comprendre: si radical – minimal – que soit son dessin, une pièce de bois dur, polie, devient au toucher d’une délicatesse de soierie.


Jérôme Abel Seguin (Né en 1950)
Paravent 3 volets - Pièces uniques
Estimation : 8 000 / 12 000€


Les meubles en bois de Jérôme Abel Seguin semblent des idées transformées en objets : difficile de trouver un banc plus « banc », une table plus « table ». La notion de décoration leur est parfaitement étrangère. Leur règle de construction est simple: réduire à l’extrême le nombre d’éléments qui les composent. Le monoxyle fascine Jérôme Abel Seguin. Or un monoxyle, une pirogue, par exemple, longue d’une douzaine de mètres et de deux mètres au bau, ce sont des centaines d’heures de travail à l’herminette, c’est le choix de l’arbre (traditionnellement, à Sumbawa, sur les pentes du mont Tambora), c’est la réunion du feu et de l’eau (l’éruption du Tambora en 1815 est la plus violente jamais enregistrée dans l’histoire des hommes, elle a plongé la planète dans une année sans été), c’est une incantation à l’impossible pour fabriquer du possible. Le meuble ne devient nullement œuvre d’art, il est rendu à son identité originelle d’œuvre d’art. Si la pirogue était autre chose qu’une œuvre d’art, elle ne pourrait tout simplement pas prendre la mer. Traduisant cette leçon, Jérôme Abel Seguin la subvertit. Et commet un sacrilège: ce sera la découpe transversale de la pirogue dont les morceaux disposés en alternance de concavités renversées constituent des paravents. À partir de ce geste apparaît bien un objet spécifique, qui organise l’espace comme l’archipel indonésien joint et sépare deux océans. Qu’on appelle meuble ou sculpture cet objet des confins importe peu. S’y affirme un art – minimal, de la limite – dont la moindre originalité n’est pas de proposer un rapport nouveau non à l’objet mobilier, mais à l’objet de l’art lui-même, raccordé par des voies parfois périlleuses à l’environnement local – l’objet crée l’espace –, vital – l’héritage de Noguchi, qui toute sa vie aura tenté de transformer le souffle en matière – et historique – l’attention de Brancusi, qui fut le maître de Noguchi, aux arts vernaculaires. 


Mobilier primitif javanais (fin XIXe siècle)
Meuble de rangement - Pièce unique
Estimation : 8000 / 12000 €


Les meubles en métal apportent à cette radicalité un contrepoint. Ils naissent des flâneries, des promenades dans les débris de paysages industriels échoués sur la grandeur et la majesté des îles, qui furent peut-être, en des temps devenus immémoriaux, un éden. Tôles perforées, axes d’engrenage, pièces diverses glanées dans les marchés à la ferraille s’immobilisent dans les assemblages auxquels les soumet la fantaisie rigoureuse de l’artiste. Perdues à leur utilité première et dépouillées de toute fonction ornementale, elle mutent : ce sont des objets transformés en idées – celle d’une table est intangible: un plateau fixe maintenu à soixante-quinze centimètres du sol. Les tableaux réalisés par juxtaposition de séries de ressorts métalliques procèdent de la même logique: ils soumettent le disparate à l’ordre d’une abstraction. La même morale minimale – qui préside aussi à la réalisation des bois – est à l’œuvre.

Jérôme Abel Seguin (Né en 1950)
Wave - Pièce unique

Estimation : 5000 / 7000 €


Enfin  les œuvres de Jérôme Abel Seguin font place pour cette vente à des objets qui ne proviennent pas de sa main, qui pourtant, là-bas, conspirent à son univers. Meubles monoxyles ou jarres de béton sur lesquelles la main humaine s’est substituée au temps pour incruster des coquillages, fragments de panneaux extérieurs des habitats toraja des Célèbes, tous affirment un certain goût de l’artiste pour le glanage. Que son regard se pose sur les grands arbres, sur les objets des arts vernaculaires ou sur les déchets de la société industrielle, son geste est un hommage à ce qui est, à ce qu’on nommait autrefois la nature, à la puissance de laquelle l’homme de l’anthropocène est inextricablement mêlé, et c’est bien une esthétique contemporaine de la nature que dessine son œuvre.

François Boisivon

Vente associée

Jérôme Abel Seguin Design polymorphe

Paris jeudi 11 avr. 17:00 Voir les lots

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