Michel Pastoureau, dans son passionnant ouvrage Bleu. Histoire d'une couleur (Seuil, Paris, 2000), rappelle qu’en Occident, durant toute l'Antiquité et le haut Moyen Âge, le bleu a été une couleur ignorée ou méprisée. Puis, à partir du XIIIe siècle, on observe un renversement et, progressivement, le bleu occupe une place de prédilection dans la création littéraire et artistique. Au fil des siècles, on pourra citer comme exemples emblématiques le bleu outremer des fresques de Giotto dans l’église de l’Arena à Padoue, mais aussi les bleus lumineux des tableaux religieux du peintre janséniste Philippe de Champaigne qui symbolisent la lumière du ciel. Delacroix, intéressé par les correspondances existantes entre les notes et les couleurs, a fait quant à lui l’éloge de la "note bleue" présente dans la musique de Chopin. Cette même note qui donnera son nom un siècle plus tard au célèbre label de jazz "Blue Note Records".
Pour en revenir au champ de l’histoire de l’art qui nous occupe plus particulièrement, le bleu au XXe siècle a fait l’objet d’une attention quasi exclusive chez un certain nombre d’artistes. On pense évidemment à la période bleue de Picasso, qui s’étend de 1901 à 1903, où le bleu incarne la tristesse et la misère. Mais on pourrait citer également le mouvement allemand expressionniste du Blaue Reiter (le Cavalier Bleu), fondé par Franz Marc, August Macke et Kandinsky en 1911 à Munich, dont l’intitulé désigne la place de choix qu’il accordera à la couleur bleue. Quant à Yves Klein, qui avait déclaré « Le ciel bleu est ma première oeuvre d'art », il inventa et déposa le brevet du fameux bleu IKB en 1960, rendu célèbre à travers ses peintures monochromes. On ne saurait oublier le peintre de la figuration narrative Jacques Monory qui, pour maintenir la réalité à distance ou pour colorer la froideur du roman noir qui inspirait ses compositions, a durablement fait baigner ses tableaux dans un fond monochrome bleu.

Dans la vente « ART + DESIGN I » qu’organise PIASA du 23 au 28 avril, la couleur bleue confère une étonnant singularité aux œuvres réunies. Deux touches de bleu constituent le point d’ancrage du Personnage au chapeau d’Arroyo, tandis que la force expressionniste du bleu a été exploitée par James Brown dans une série d’œuvres sur papier du milieu des années 1980. La charge éminemment symbolique de cette couleur s’associe à sa qualité décorative. Il n’est donc pas surprenant de la retrouver abondamment utilisée dans les nombreux matériaux employés par le design de la seconde moitié du XXe siècle. C’est le cas du grès émaillé dont se sert Rigmor Nielsen pour réaliser son lampadaire. Héritier d’une tradition millénaire, Max Ingrand teinte le verre en bleu avec Modèle 2218. Inspiré par l’esthétique géométrique, André Sornay (1902-2000) assemble des couleurs à la surface des meubles qu’il conçoit, ici une armoire en bois, Isorel et métal.