Alors que PIASA présente plusieurs oeuvres de Pierre Molinier à l'occasion de sa vente d'Art Moderne et Contemporain du 3 décembre 2019, revenons plus en détails sur la personnalité de l'artiste au travers d'un témoignage de Luciano Castelli.
Luciano, quand avez-vous rencontré Pierre Molinier pour la première fois ?
C’était à la suite de l’exposition « Transformer – Aspects du travestisme », organisée en 1974 par Jean Christophe Ammann au musée des Beaux-Arts de Lucerne. En dehors de Brian Eno, David Bowie, Mick Jagger, Urs Lüthi et moi-même, l’exposition présentait également des œuvres de Pierre Molinier dont j’ai pu découvrir alors avec fascination les photomontages. Il n’avait malheureusement pas pu venir au vernissage. Peu après cependant, j’ai reçu une lettre de lui accompagnée d’une photo qu’il avait retravaillée. C’était une photographie de mon œuvre « Lucille auf rotem Sofa », reproduite dans le catalogue «Transformer » qu’il a retouchée à sa manière. Il a renforcé l’expression sensuelle de mon visage, rallongé les ongles et le talon de mes chaussures, il m’a drapé d’un chemisier transparent et rajouté un arrière-fond.
Pierre Molinier (1900-1976) Moi et Luciano Castelli, 1965-67
Estimation : 1800 / 2500 €
Comment avez-vous réagi ?
Je lui ai envoyé par retour une lettre avec une photo. A chaque correspondance de Molinier je répondais par une lettre, et toutes comprenaient une ou plusieurs photos. Dans une lettre écrite le soir de Noël, il m’a invité à venir lui rendre visite à Bordeaux. A la suite de la Biennale des Jeunes à Paris, en 1975, j’ai pris le train jusqu’à Bordeaux pour me retrouver soudain devant sa porte, dans mon costume classique et ma petite valise rouge à la main. Je me sentais à la fois impatient et anxieux. Mais ce petit homme discret à lunettes, âgé alors de plus de 70 ans, m’a tout de suite semblé sympathique. Notre conversation a été très succincte puisqu’il ne parlait pas un mot d’allemand et moi très peu le français. Et pourtant, nous avons passé trois journées passionnantes.
Comment vivait-il ?
Il vivait dans un appartement relativement spacieux, situé dans un quartier commerçant du vieux Bordeaux. Je me rappelle encore du grand salon qui lui servait aussi d’atelier. On y voyait les accessoires des ses mises en scène: poupées, lampes, tissus, bas, son chat vautré sur le lit et, au-dessus, un grand miroir sur lequel de nombreuses photos de moi étaient fixées dans le cadre. Quand il m’a montré sa chambre à coucher, j’ai tout de suite aperçu le revolver chargé posé sur la table de chevet avec lequel il allait se suicider l’année suivante. Avec les lourds rideaux pourpres en velours qui ornaient ma chambre, l’atmosphère y était plutôt morbide. Chaque soir, il me mettait au lit, et après avoir caressé mes cheveux, il éteignait la lumière avant de sortir. Il m’a aussi fait la cuisine, toujours le même menu : entrecôte et haricots verts. Quant à lui, il ne mangeait rien. Jamais je ne l’ai vu avaler quoi que ce soit au cours de ces trois jours. Et lorsque je lui en ai fait la remarque, il s’est mis à jurer violemment contre son estomac.
Pierre Molinier (1900-1976) La dame en noir, circa 1960-69
Estimation : 1000 / 1500 €
On raconte aujourd’hui beaucoup d’anecdotes sur Pierre Molinier, sur sa manière très anticonformiste, par exemple, de recevoir les gens, sur ses comportements, sur ses manies, etc. Pouvez-vous m’en parler ?
Le deuxième jour, avant le déjeuner, il m’avait préparé un bain chaud dans une cuve en bois installée dans la cuisine. Il m’a alors demandé d’enfiler des bas et un slip de soie noirs. Pendant que je mangeais, il s’est assis en face de moi et m’a demandé de poser mes pieds revêtus de bas sur ses genoux qu’il a alors doucement caressés. Son fétichisme par rapport aux bas m’est apparu une autre fois. Un après-midi, une demi-douzaine de jeunes gens autour de 20 ans sont passés, tous remplis d’admiration pour lui, qui savourait ostensiblement cette situation. Tout à coup en pleine conversation, il a baissé son pantalon. Dessous, il portait un slip et des bas noirs. Puis il a commencé à se pavaner de long en large, laissant admirer ses jambes vraiment très fines et juvéniles avant de s’exclamer: « N’ai-je pas les jambes de Marlene Dietrich ? »
Témoignage de Luciano Castelli, recueilli par Jean-Luc Monterosso dans le catalogue de l’exposition Paris, Galerie Kamel Mennour, Pierre Molinier, photographe : une rétrospective, Ed. Mennour, Paris, 2000, pp. 138-139

