En d’autres temps, on eût brulé Pierre Chapo pour hérésie. Des temps pas si lointains ou ceux-là même qu’il admire professaient la mort du bois au nom de « l’homme nouveau ». (…)
Le bois appelle la main. Toucher. Contact chaud et mat. Affinités de l’organique. Il y a dans le retour vers le bois comme un secret dessein de se rassurer. C’est le refus de la matière de synthèse et des industrieuses nécessités qui la produisent. Tirer la porte sur sa vie besogneuse. La tentation de gommer l’histoire. Le bois renvoie à un temps anachronique. Le temps du mythe, un temps qui tourne sur lui-même et se suffit. Il y a dans le retour vers le bois une sorte de tendre narcissisme. Complaisance des nantis ?
Beckett et l’architecte
Douce intemporalité du bois, certes, mais dans des formes bel et bien de leur époque. Pas question de céder aux facilités d’un autre temps : les formes parlent d’elles-mêmes et sans fioritures. Il faut appeler une table, une table et un lit, un lit. (…) L’idée de départ n’est jamais travestie et cette idée première est la fonction, s’assoir, s’allonger, manger, ranger. Retour à l’essentiel (…)
Pierre Chapo aime à rappeler, non sans coquetterie, que son premier client fut Samuel Beckett. Le célèbre dramaturge fit construire la première pièce de sa collection : un lit, ou pour mieux dire, un concept de lit. Juste le nécessaire pour poser son matelas. Pierre Chapo, à l’époque vendait des matelas, faute d’exercer son véritable métier : l’architecture. Samuel Beckett s’adressa à l’architecte. Aujourd’hui sans même s’en douter, les clients de Pierre Chapo s’adressent aussi à l’architecte.
Reportage, Novembre 1980 par Jean Louis Marrou, Bruno Plaïffli


