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Entretien de Pierre Soulages avec Pierre Encrevé

17 juin 2019

Alors qu'une lithographie de Pierre Soulages est au catalogue de la vente Editions du 26 juin prochain, nous revenons sur cette technique d'impression au cours d'un entretien entre l'artiste et Pierre Encrevé.


Extrait de l’Entretien avec Pierre Soulages – Pierre Encrevé
Conférences de la fondation Del Duca, BNF, juin 2001
L’entretien de Pierre Soulages avec Pierre Encrevé s’est tenu dans le cadre des grandes conférences de la fondation Del Duca, dans le grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, le jeudi 14 juin 2001.
 
“ Pierre Encrevé : Pierre Soulages, nous allons tenter de présenter votre œuvre imprimé, en lui-même, bien sûr, mais aussi dans ses rapports avec votre peinture et avec l’ensemble des matériaux, techniques et supports que vous avez abordés. Le plus simple est sans doute de partir de l’histoire. Quand on passe de vos deux premières eaux-fortes, en 1951, à la série qui commence en 1957, s’impose immédiatement une différence : les premières eaux-fortes entretiennent un certain type de relation avec votre peinture de la même époque alors que les secondes sont très indépendantes, même si, comme vous le dites souvent, elles sont en parfaite cohérence avec votre travail sur toile ou sur papier.

Pierre Soulages : Je crois que, pour simplifier les choses et pour que ce soit plus intelligible, il faut parler des diverses techniques que j’ai utilisées. J’ai pratiqué la taille-douce, c’est-à-dire une gravure en creux qui est faite le plus souvent, dans mon cas, à l’eau-forte et à l’aquatinte. J’ai fait aussi de la lithographie, qui est un procédé à plat, fondé, comme vous le savez, sur la propriété qu’a une encre d’adhérer à la pierre. La pierre est traitée par un acide qui la rend poreuse. La partie poreuse se gorge d’eau et lorsqu’on roule de l’encre sur la pierre, l’encre ne se dépose que dans les parties où il n’y a pas d’eau. C’est un procédé à plat. Ce n’est pas une gravure en creux comme la taille-douce, où l’encre se trouve dans le fond des tailles. Il y a aussi la gravure sur bois, qui est une gravure en relief, dans ce cas c’est le relief qui dépose l’encre sur le papier. Il s’agit là d’une technique que je n’ai jamais employée, encore que je l’ai utilisée parfois dans certaines manières d’imprimer. Nous en parlerons quand nous entrerons dans le détail (si nous entrons dans le détail). Il y a aussi un quatrième procédé d’impression, ou de production d’estampes, devrait-on dire plus simplement. Il s’agit de la sérigraphie, soit une sorte de tamis à travers lequel on fait passer de l’encre, du moins dans certaines parties. Là où l’encre passe, elle se dépose sur le papier, là où le tamis est bouché, elle ne peut pas passer et le papier reste blanc. On a là les quatre procédés d’impression d’estampes.

Lot 50 - Pierre Soulages (né en 1919)
Lithographie n°20 a - 1969
Lithographie en noir sur papier crème,
signée et justifiée "épreuve d'artiste"
87×63cm - Encadrée
Bibliographie : Cat BN, Pierre Encrevé, N°66
Provenance : Ancienne Collection Claude
et Michel Harel
Estimation : 8 000 - 12 000 €



Pierre Encrevé : Nous n’avons pas du tout parlé, jusqu’à présent, de l’œuvre lithographié, ni de l’œuvre sérigraphié.

Pierre Soulages : Oui. Je vous avouerai qu’avec la lithographie, j’ai toujours été très gêné, parce que je ne voyais pas quelle pouvait être sa spécificité. La lithographie est un procédé en lui-même extrêmement souple. Il permet de faire des œuvres voisines de l’aquarelle, voisines d’un dessin, comme un dessin sur de la pierre bien sûr, mais un dessin tout de même. On a fait des lithographies qui ressemblent à s’y méprendre à des peintures à l’huile. J’ai vu, d’ailleurs, un copiste une fois, faire une copie d’un petit tableau de Picasso qui devait servir à une affiche, une copie lithographiée. Cela se passait chez Mourlot et lorsqu’on a procédé au tirage, il avait fait — c’était un copiste formidable — une merveilleuse imitation. C’était une vraie petite peinture et entre les touches de peinture, on voyait la toile. Le lithographe avait même imité le grain de la toile. C’était à s’y méprendre en quelque sorte. Quand on l’avait à la main, évidemment, on ne se trompait pas. Et je me souviens que par plaisanterie, ils avaient mis le tableau de Picasso avec un cache, et puis, cinq ou six lithographies et quand Picasso est arrivé, on lui a dit : « Eh bien ! Voilà, votre tableau est là. » Il a eu un moment d’affolement dans le regard parce que réellement, c’était du trompe-l’œil ! Oui, on peut faire ça aussi en lithographie. On peut tout faire et ça, ça me dérangeait. Alors, j’ai tenté un moment de retrouver une qualité propre à la lithographie : plutôt que de travailler sur une seule épreuve qui était le bon à tirer, d’après lequel on tire toute une série d’estampes, je travaillais directement sur le tirage, en totalité. On en tirait deux cents exemplaires par exemple, et puis je reprenais la même pierre et j’apportais des précisions ou même d’autres formes se combinant avec le premier état sur chaque feuille d’un tirage qui, évidemment, à chaque intervention, se réduisait, pour parvenir, après trois, quatre interventions (parce que, dans les mises au point, il fallait chaque fois préciser, ou intensifier, ou corriger) au tirage numéroté définitif. Mais il me semblait que j’avais fait intervenir là, dans la création, le procédé de production, et ça me paraissait redonner à la lithographie le statut d’œuvre originale telle que je la comprends. On considère comme œuvre originale l’estampe signée par un artiste et finalement je trouve que ce n’est pas suffisant. On devrait appeler œuvre originale une œuvre conçue et issue de la technique qui sert à la produire. Les lithographies et les sérigraphies qui ressemblent à s’y méprendre à des dessins, à des aquarelles ou à des peintures cessent dans ma définition d’être des œuvres originales, même si elles sont faites par un artiste, si elles sont de la main de l’artiste et si elles sont reconnues et signées par l’artiste. Mais enfin, ça, c’est une conception de l’œuvre originale que tout le monde ne partage pas, bien sûr.”



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Paris mercredi 26 juin 15:00 Voir les lots

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