Un superbe tableau de Jacques Monory est présenté par PIASA à l'occasion de la vente d'Art Moderne et Contemporain du 3 décembre 2019.
En 1962, Jacques Monory prend ses distances avec l’esprit du Pop art américain, refusant de limiter son propos à la dénonciation de la société de consommation, pour s’orienter vers une peinture s’attachant à une description neutre et froide du quotidien. Il se met à travailler par série, donnant naissance à un monde romanesque et noir inspiré par l’objectivité de la photographie, avec des images montrant des scènes de meurtre, de fuite, où la peur, les désirs, les émotions peuplent des lieux vides et mystérieux. Sa peinture s’inscrit alors dans le mouvement du retour à la figuration inspirée de la vie quotidienne et avec, entre autres, Arroyo, Klasen, Rancillac et Télémaque, il participe à l’exposition « Mythologie quotidiennes » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1964 puis « Figuration narrative dans l’art contemporain » organisée l’année suivante par Gérald Gassiot-Talabot, à la Galerie Creuze à Paris. Le fond monochrome bleu dans lequel il fait baigner ses tableaux depuis cette même époque crée une atmosphère irréelle, où la réalité est comme maintenue à distance: « Quand je peins bleu, j’ai du plaisir, c’est du bleu, ça m’éloigne de ce que je fais. Il se passe un massacre derrière la vitre bleue, et moi, je suis protégé des balles. Le bleu n’est pas pour moi la couleur de la peur. C’est la couleur du rêve. » déclare l’artiste. Les diverses séries abordées par Monory, celle des "Meurtres" en 1968,de "New York" en 1971, des "Opéras glacés" en 1976, ou celle des "Fragile" en 1983 à laquelle appartient notre tableau « Rio-Cachan » (1989), mettent en image un univers constitué de lieux déshumanisés où sont inventoriés des objets constituant le répertoire des obsessions et des fantasmes de l’artiste (armes, automobiles, femmes fatales, jardins et bâtiments désertés…).
Jacques Monory (1924-2018)
Rio-Cachan, Fragile n°11, n°801, (deux parties), 1989
Estimation : 50000 / 70000 €
Comme le montre « Rio-Cachan », les peintures de Monory ont souvent pour point de départ les prises de vue photographique ou les plans séquence du cinéma: « Je travaille toujours avec des photos. Je les prends moi-même, pas toujours en vue d’un tableau, et je m’en sers ensuite, parfois. Je me sers de photos que je fais au cinéma, à la télévision, de photos d’actualité, etc. Tout ce qui est image m’est utile. Je pioche indifféremment dans tous les registres. Je les choisis et je les cadre ». L’artiste apporte un climat particulier à ses sujets par le choix de cadrages atypiques : ici, il fait se juxtaposer sur un même plan la vue en plongée d’une rue, et celle d’une femme située en surplomb sur le toit terrasse d’un immeuble. Le format immense, voire panoramique de ce tableau, est proche de celui du cinémascope. L’ensemble baigne dans l'ambiance bleutée chère à Monory, qu’égayent les quelques touches de roses et blancs d’une végétation luxuriante à laquelle se mêle, par le jeu des motifs, l’imprimé de la robe de la femme. Aucun élément permet de donner un sens à ce que l’on voit, pas même le titre « Rio-Cachan » peint en capitales d’imprimerie ou encore l’insertion de rares objets en relief. Ces associations de mots et d’images créent des intrigues picturales dont seul Monory détient la clef, et face auxquelles nous sommes relégués au rang de témoins impuissants. C’est là que réside toute la singularité de la peinture de Monory, à propos de laquelle le critique Alain Jouffroy a déclaré: « C’est pourquoi sa peinture ne ressemble à celle de personne, parce qu’elle concilie exactement l’objectivité apparente (la photo) et la subjectivité la plus intime (le sentiment de solitude) ».

