Depuis 2016, la maison de vente PIASA s’est spécialisée avec succès dans la création contemporaine africaine, mettant en lumière le large panorama de la scène artistique du continent. Comme en témoigne les très bons résultats de la vacation du 7 novembre 2019 qui, en doublant son estimation, totalisa plus de 1,43 million d’euros, le département Art Contemporain Africain a consolidé son positionnement sur un marché en plein essor. Christophe Person, directeur du département nous donne sa vision sur ce marché en pleine expansion.
Quelle place l’art contemporain africain occupe-t-il dans le marché de l’art en France et dans le monde ?
L’art contemporain africain occupe encore une place modeste sur le marché de l’art international mais son évolution est en très forte croissance depuis une dizaine d’années. Au travers les ventes aux enchères que PIASA organise déjà depuis 2014, nous constatons que les œuvres, dont la qualité et la diversité ne cesse de croitre, trouvent à chaque vacation un public de collectionneurs toujours de plus en plus nombreux. De notre point d’observation, il semble que ce marché se distingue des autres marchés de l’art de par le fait que les lieux de production (le continent africain) et les lieux de consommation (l’occident) ne sont pas les mêmes. Mais les choses évoluent ce qui est positif. Cela peut s’expliquer par le fait que les artistes voyagent beaucoup. Pour partie, l’art contemporain africain est l’art des Diasporas africaines et leur production bénéficie naturellement de ces échanges. Du coté de la consommation d’art, la disponibilité des œuvres sur le continent est également facilitée par les expositions, les foires et les galeries qui s’y développent. On observe actuellement le développement d’un marché local.
Quelle évolution constatez-vous dans les vingt dernières années ?
Le marché de l’art contemporain africain fait partie de ceux qui ont connu la plus formidable évolution au cours des dernières années. On remarquera que depuis quelques temps, un faisceau de facteurs s’est mis en place pour favoriser la visibilité des artistes africains.
Que ce soit à Paris, en Europe ou dans le monde, on va vu fleurir depuis quelques années les expositions qui ont mis l’art africain à l’honneur. On peut citer bien entendu l’exposition des Magiciens de la Terre en 1989 qui révélait un art ancré dans le Continent, mais force de constater que les expositions plus récentes visent à montrer depuis 20 ans la contemporanéité de l’art africain et sa capacité à traiter des sujets de société. Dans le prolongement des événements institutionnels, le marché de l’art a pris le pas pour donner accès aux collectionneurs à l’art contemporain africain. En ce sens, la foire 1:54 fait figure de pionnière en ayant créé dans le centre de Londres, à la même période que les Frieze, une foire dédiée à l’art africain, offrant pour la première fois une plateforme prestigieuse pour les galeries spécialisées. On remarquera que compte tenu du timing de son développement, le marché de l’art contemporain africain profite à plein pour se développer en expérimentant les nouvelles méthodes de commercialisation qui s’imposent aujourd’hui à l’ensemble du secteur, galeries en appartement, pop-up, galeries digitales et commerce en ligne, partenariat et accent sur les résidences.
Dans ce grand chamboulement du marché, où galeries et maisons de vente jouent de plus en plus un rôle de prescripteur, on remarquera le succès rencontré par PIASA qui a innové en proposant aux collectionneurs l’acquisition aux enchères d’œuvres de premier marché. Avec cette approche, nous mettons à disposition d’un public international une sélection curatée d’œuvres réalisées par des artistes auxquels nous croyons. Comme d’ailleurs pour l’ensemble des ventes proposées par PIASA dans les autres spécialités, notre positionnement vise à de proposer un regard, mais aussi un cheminement, une histoire de l’art contemporain africain qui s’écrit.
Comment expliquez-vous son succès ?
Nous pensons que le succès de l’art contemporain africain s’explique par sa pertinence et sa contemporanéité. Ce sont les deux volets qui président à la sélection des œuvres que nous offrons aux enchères. Compte tenu de la grande Histoire et des histoires individuelles des artistes africain, ces derniers se révèlent particulièrement inspirés pour rendre compte des enjeux de notre société. Si l’histoire de l’Afrique est marquée par les migrations de populations, au sein et en dehors du continent, volontaires ou forcées, l’histoire des individus aussi est empreinte de ces mouvements. Ainsi, les artistes qui développent un regard multi-culturel acquis au gré de leurs origines et de leurs trajectoires, sont dans la meilleure posture pour produire un art d’aujourd’hui avec une certaine vision du monde.
Quelles sont les thématiques récurrentes ?
Les thématiques récurrentes sont celles d’aujourd’hui. On trouve beaucoup de travaux qui traitent de l’identité. L’identité africaine, revendiquée avec une histoire qui remonte avant la colonisation et que le monde parfois redécouvre, et un avenir et les aspirations des jeunes générations dans un monde globalisé, hyperconnecté avec des inégalités qui sont aujourd’hui impossibles aujourd’hui à ignorer. L’identité personnelle, car on est dans des zones où la tolérance et l’acceptation vis à vis des minorités, des femmes, des religions, des différences, est parfois mise à mal encore plus qu’ailleurs.
Dans le prolongement du thème précédent, la colonisation est bien entendu un sujet récurrent dans le travail des artistes africains. Si plus de soixante ans après la décolonisation elle continue d’imprègner l’imaginaire collectif en Europe, elle inspire les artistes qui se saisissent des questions du racisme, des communautés, et aussi des arts classiques africains.
Enfin on note également un grand nombre de travaux qui traitent de l’environnement, au travers notamment de l’exploitation des ressources naturelles, du mouvement des biens, des impacts du dérèglement climatique.
Tous ces thèmes sont bien entendu plus imbriqués les uns les autres que compartimentés, et c’est la capacité qu’ont certains de ces artistes d’en faire l’analyse ou la synthèse qui rend leur travail particulièrement attractif pour les collectionneurs à travers le monde.
Le partenariat entre PIASA et ASPIRE auction est inédit, pouvez-vous revenir sur sa genèse ? Quel bilan tirez-vous de la première vente en février 2020 à Cape Town ?
En simplifiant à l’extrême, on constate s’agissant du marché de l’art contemporain africain que les flux d’œuvres, et dans une grande mesure d’artistes, se fait du Sud vers le Nord. Par ailleurs, la notion d’art contemporain africain dans sa globalité ayant cours en occident s’oppose à la réalité de marchés en Afrique, qui sont essentiellement ou domestiques ou régionaux. C’est sur la base de ce constat que nous avons souhaité, en partenariat avec Aspire contribuer à montrer en Afrique des œuvres d’artistes qui avaient jusqu’alors été plutôt vus en Europe principalement. L’idée était donc de mettre en commun avec Aspire notre sourcing et notre réseau de collectionneurs, sachant que le marché Sud africain est parmi ceux les plus développés.
Les deux maisons ont été très satisfaites du résultats de la vente qui a contribué à sensibiliser nos contacts respectifs à la diversité et la richesse de la création africaine.