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Vente : Bibliothèque de François Mitterrand. Livres modernes : de 1900 à nos jours

24 octobre 2018

La maison de ventes aux enchères PIASA et Jean-Baptiste de Proyart,Libraire-Expert, ont l’honneur de présenter aux enchères les 29 et 30 octobreprochains la partie moderne de la bibliothèque de François Mitterrand,ancien Président de la République française de 1981 à 1995. Cet ensembleappartient à M. Gilbert Mitterrand. Il s’agit d’environ 1000 ouvrages delittérature du XXe siècle, agrémenté de quelques manuscrits et autographes,tous en édition originale et reliés pour certains par sa femme DanielleMitterrand ou par les meilleurs praticiens de la seconde moitié du XXe siècle.



CAMUS, Albert 
Les Justes 
Paris, Gallimard, 1950
ENVOI HISTORIQUE D’ALBERT CAMUS À FRANÇOIS MITTERRAND : « EN SOUVENIR D’UNE JUSTE CAUSE », CELLE DE LEUR COMBAT COMMUN DANS LA RÉSISTANCE.
Estimation : 5.000 - 8.000 €



François Mitterrand, on le sait par de nombreux témoignages, a depuis sa jeunesse aimé posséder de beaux exemplaires des textes qu’il lisait. Le Président de la République était connu pour arpenter les librairies, lire les catalogues de libraires et s’échapper ainsi des dures réalités politiques par ses fameuses promenades littéraires dans le Quartier Latin. C’était l’une de ses parts les plus secrètes, la source spirituelle de son action.


La vente aux enchères de la bibliothèque d’un Président de la République représente un événement inédit et spectaculaire dans l’histoire du marché du livre. Si l’on se restreint aux fonctions de Premier ministre et de chef de l’Etat, François Mitterrand partage sa passion du livre rare avec Georges Pompidou, Dominique de Villepin, et, plus loin de nous, Louis Barthou, éminent bibliophile, Président du Conseil en 1913, dont la bibliothèque fut dispersée en quatre catalogues en 1935 et 1936. Au XIXe siècle, le maréchal Soult, chef du gouvernement pendant neuf ans sous la Monarchie de Juillet, était réputé pour son goût pour les beaux livres. Sous l’Ancien Régime, certains ministres célèbres ont collectionné les livres et les manuscrits comme Jean-Baptiste Colbert dont les livres seuls furent vendus aux enchères en 1688 (les manuscrits étant offerts à la Bibliothèque du Roi), les cardinaux Mazarin, surtout, et Richelieu.


Enfin, si l’on accepte la célèbre définition du juriste Maurice Duverger donnée dans un ouvrage publié en 1974, qui qualifiait le régime de la Ve République de « monarchie républicaine », on peut inscrire François Mitterrand dans la lignée des souverains bibliophiles. En France, elle commence avec les Valois, et parmi eux Charles V et François Ier, et s’achève avec Louis XVI qui recevait dans l’intimité de son cabinet le libraire-expert parisien Guillaume De Bure pour choisir les beaux exemplaires des ventes à venir. À l’étranger, on peut penser au roi Georges III d’Angleterre (1738-1820) dont l’immense collection dénommée King’s Library forme depuis son don en 1823 au British Museum l’ossature de l’actuelle British Library, ou au roi Manuel II de Portugal (1889-1932) dont la collection fut formée par la librairie Maggs de Londres.


Mais si l’on veut définir le principe d’organisation de la bibliothèque de François Mitterrand, on doit la rapprocher de celle du Président américain Thomas Jefferson (6.500 livres), le plus grand collectionneur de livres des États-Unis en son temps. En 1815, pour remplacer la première bibliothèque du Congrès brûlée par les Anglais lors du siège de Washington (1812), il vendit sa bibliothèque au Congrès pour $23.950 créant ainsi la nouvelle Library of Congress. De nombreux autres présidents américains furent collectionneurs de livres et parmi eux les meilleurs : Georges Washington (1.000 livres) et Franklin D. Roosevelt (15.000 livres), ou encore Adams, Madison, Lincoln, Truman, et plus proche de nous, Bill Clinton. Chacun d’eux forma ce que les américains appellent une presidential library. Ces bibliothèques américaines ou, paradoxalement, celle de François Mitterrand obéissent toutes à un même critère de distinction : d’un côté les livres d’usage ou de documentation, et de l’autre les livres précieux, d’un côté la working library, de l’autre la leisure library.


Les livres d’usage de François Mitterrand, lecteur avide, sont encore aujourd’hui conservés dans la famille, rangés avec ordre et précision. Un catalogue de fiches a été dressé par Danielle Mitterrand. Le Président pouvait à tout moment lire un ouvrage sur les papes d’Avignon, les tyrans de Florence, l’histoire de l’Allemagne ou, tout aussi fréquemment, une oeuvre de littérature. Parfois, le Président annote ses livres, de façon discrète, par un petit point en face de telle ligne et par le rappel à la fin de l’ouvrage des pages où figurent ces points. 



GARCÍA MÁRQUEZ, GABRIEL
Cent ans de solitude
Paris, Seuil, 1968
ENVOI DE GABRIEL GARCIA MARQUEZ :
« PARA FRANÇOIS MITTERRAND, DE SON AMI, GABRIEL. 1981 »
« CENT ANS DE SOLITUDE EST LE MEILLEUR ROMAN EN LANGUE ESPAGNOLE ÉCRIT DEPUIS DON QUICHOTTE »
(Pablo Neruda)
Estimation : 2.000 - 3.000 €



En 1990, François Mitterrand offrit à la Médiathèque Jean Jaurès de Nevers près de 20.000 livres dont la moitié lui était dédicacés. Parmi ceux-ci, il ajouta certains exemplaires de sa collection personnelle et, plus particulièrement des reliures (www.mitterrand.org/ nevers-mediatheque-jean-jaures.html). 


Les ouvrages de bibliophilie, eux, la leisure library, sont à Paris, dans son domicile parisien et non à l’Élysée. Danielle Mitterrand a pour eux aussi dressé un catalogue manuscrit sous forme de répertoire pour lequel elle a utilisé les mentions figurant sur les fameux « petits papiers ». Car François Mitterrand est un homme d’ordre. 


Dans la majorité des exemplaires de cette vente aux enchères figure en effet une marque de possession particulièrement originale. François Mitterrand avait pour habitude de découper une bande de papier verticale et d’y noter, à l’encre bleue, grâce à son célèbre stylo Waterman, le nom de l’auteur, le titre du livre, la mention « ed. or. » pour édition originale, le prix d’achat entouré d’un simple encadrement, le nom du libraire chez lequel il avait trouvé le livre, la date exacte de l’acquisition, le nom du relieur et le prix de la reliure quand il l’avait commandée. Ces mentions ont été reportées dans le catalogue de la vente en sorte que l’on suivra pas à pas l’étonnant parcours bibliophilique de François Mitterrand. 


Ces « petits papiers » donnent accès à l’un des coeurs secrets de François Mitterrand : son amour pour la littérature française et pour l’objet-livre lui-même. Ils forment un hommage discret à la librairie française et au marché du livre rare puisque les noms des principaux libraires de France y figurent : en premiers lieux la librairie Gallimard du boulevard Raspail alors dirigée par Paul Derieux, et la librairie Bernard Loliée. Le Président rendit aussi visite à bien d’autres libraires dont, on le sait, Gérard Oberlé, au Manoir de Pron dans la Nièvre, le matin du 10 mai 1981, après avoir voté. 



MAURIAC, FRANÇOIS 
De Gaulle 
Paris, Bernard Grasset, 1964
REMARQUABLE ENVOI DE FRANÇOIS MAURIAC À FRANÇOIS MITTERRAND :
« À FRANÇOIS MITTERRAND QUI NE SERA PAS D’ACCORD, BIEN SUR ! »
DE L’ÉCRIVAIN DU GAULLISME À SON PRINCIPAL OPPOSANT POLITIQUE.
DE GAULLE POSSÉDAIT « L’INCROYABLE POUVOIR DE DIRE “MOI ! LA FRANCE” ET D’ÊTRE CRU » (FRANCOIS MAURIAC)
Estimation : 3.000 - 5.000 € 



Danielle Mitterrand est associée à cette bibliothèque par la reliure. Elle a fait son apprentissage dans l’atelier de Henri Mercher situé rue Visconti, l’un des plus fameux relieurs parisiens du dernier demi-siècle. Certains des livres sont ainsi reliés et signés par elle avec talent, comme par exemple les propres livres écrits par François Mitterrand. Parmi les livres de François Mitterrand, on retrouve d’autres noms de praticiens célèbres comme ceux de Hélène Alix et son fils Jean-Bernard, dont l’atelier était situé rue Saint-André-des-Arts, ou encore Henri Duhayon, relieur établi à Nice. 


François Mitterrand avait donc ses relieurs de prédilection. À la fin de juin 1995, il se rendit chez Alix comme le rapporte Christophe Barbier : 

“l’ancien Président vient déposer les quatre volumes d’une édition récente, mais originale et luxueuse, de la Correspondance de Charles Péguy avec Alain-Fournier et Jacques Rivière. Comme à chacune de ses visites, deux fois par an, François Mitterrand caresse du regard l’oeuvre intégrale de Zola, en éditions originales, qui emplit une bibliothèque à droite de la porte. Puis il fait son choix. Habitué aux reliures jansénistes, maroquins à cinq nerfs, peaux bleu marine, noires ou rouges, il ne s’écarte pas de ses habitudes : pour la correspondance Fournier-Rivière, ce sera un demi-maroquin. “Dans un rouge qui tient”, précise-t-il en hésitant quelques secondes entre un papier peigné ou caillouté. Puis il converse encore un peu, sous les boiseries du plafond bas, à côté de la monumentale presse à bras. “Je recherche aussi les livres pour l’objet livre, précisait-il dix-sept ans plus tôt. J’avoue même que le plaisir que j’ai de lire tient pour une part à la satisfaction que m’apporte le filet de la couverture ou le caractère typographique”. Et ce qu’il aimait beaucoup à Venise, aussi, c’était cette société qui “veillait spécialement sur l’imprimerie, la beauté du papier, la fonte des caractères, la correction des épreuves, sur tout ce qui pouvait contribuer à la perfection des nouvelles éditions”. Mitterrand, comme à chacune de ses visites, demeure vingt minutes en compagnie des Alix. Puis il s’en va. Il ne verra jamais ses quatre volumes reliés”. (Les Derniers Jours de François Mitterrand


L’un des tout premiers livres qu’il ait possédés est cet étonnant exemplaire de Terre des hommes de Saint-Exupéry offert pour son anniversaire le 26 octobre 1939 par sa soeur Geneviève lorsqu’il est au front durant la « Drôle de Guerre » dans les Ardennes. Il porte cet envoi prémonitoire : « puisse cette angoisse vécue en ce jour de tes 23 ans te préparer de proches années victorieuses en tous points ». Le futur Président a d’ailleurs ajouté au crayon sa signature autographe. On sait par divers témoignages qu’il lisait Terre des hommes en mai 40 quand il fut fait prisonnier. L’exemplaire est abîmé, certes, mais il est surtout là. Cela signifie que François Mitterrand l’a conservé en captivité et que le livre l’a accompagné dans sa troisième tentative d’évasion. Sinon, le volume serait resté en Allemagne.


En 1954, Albert Camus lui offre une édition originale des Justes qu’il accompagne d’un bel envoi : « A Monsieur le Ministre de l’Intérieur, en souvenir d’une juste cause »… faisant évidemment référence à sa participation au réseau de François Mitterrand, alias capitaine Morland. Autre camarade de réseau, Marguerite Duras est ici présente par un exemplaire dédicacé de L’Amant de la Chine du Nord très bien relié par Duhayon. 


En 1964, François Mauriac, le célèbre rédacteur du « Bloc-Notes » de L’Express, plume redoutée qui défendit toujours son compatriote Mitterrand, malgré leurs divergences politiques, publie sa fameuse biographie de De Gaulle. Il l’adresse au futur Président de la République avec cet envoi malicieux : « A François Mitterrand, qui ne sera pas d’accord, bien sûr ». Et pour clore cette brève liste d’exemplaires chargés d’histoire, il faut mentionner le remarquable envoi du grand écrivain allemand Ernst Jünger sur la traduction française de son Mantrana publiée en 1984 : « à Monsieur le Président, en souvenir de la rencontre franco-allemande du 22 octobre 1984 à Verdun ». L’écrivain âgé se trompe certes de date, mais cette poignée de main à Helmut Kohl du 22 septembre 1984 annonce la réunification allemande de 1989 et fait entrer, d’un geste imprévu, François Mitterrand dans la grande Histoire. 


ROMAINS, JULES 
Les Hommes de bonne volonté 
Paris, Flammarion, 1932-1946
SUPERBE EXEMPLAIRE DES HOMMES DE BONNE VOLONTÉ, IMPRIMÉ SUR PAPIER DU JAPON POUR MAX FISCHER.
TREIZE ENVOIS DE JULES ROMAINS À MAX ET MADELEINE FISCHER.
RELIURES UNIFORMES DE MIGUET
Estimation : 8.000 - 12.000 €



On connaît les préférences littéraires de François Mitterrand. Elles ont été maintes fois commentées. Ce n’est pas un lecteur des livres de l’Avant-Garde : le surréalisme est peu représenté, hormis Louis Aragon par ses romans qu’il aimait, et qui avait appelé à voter pour lui. Une belle série de Chardonne, admiration « charentaise » qui culmine avec un exemplaire de tête sur japon des Varais et le sympathique envoi de Chardonne sur ses Lettres à Roger Nimier publiées en 1954. Certains écrivains « de droite » comme Barrès, Brasillach, Bardèche, Drieu la Rochelle et Rebatet sont évidemment présents dans de beaux exemplaires ; on connait depuis longtemps l’attrait qu’ils exercèrent sur François Mitterrand. 


Michel Tournier, chez lequel il se rendit plusieurs fois pour parler de l’Allemagne puisqu’il avait passé quatre ans à l’université de Tübingen, brille par quelques exemplaires dont deux avec envoi. L’une des grandes prédilections de François Mitterrand, Jules Romains, marquera la vente avec un remarquable exemplaire des Hommes de bonne volonté. Et surtout Charles Péguy s’affirme grâce à deux très beaux exemplaires : l’un est Notre Jeunesse, récit de son grand combat pour Alfred Dreyfus, sur grand papier relié par Huser, et l’autre est L’Argent, un des quinze exemplaires de tête relié cette fois par Alix. 


Enfin, la littérature étrangère est particulièrement bien représentée par une série d’ouvrages de Gabriel Garcia Marquez, chacun avec envoi, dont le célèbre Cent ans de solitude, en première traduction française. On se souvient que Garcia Marquez était présent lors du déjeuner à l’Élysée qui suivit la cérémonie du Panthéon le 21 mai 1981. Milan Kundera adressa au Président de la République un exemplaire de L’Immortalité avec envoi. François Mitterrand avait accordé la nationalité française en juillet 1981 à l’écrivain tchèque émigré en France.


 

Vente associée

Bibliothèque de François Mitterrand Livres modernes : de 1900 à nos jours - Première partieLots 1 à 334

Paris lundi 29 oct. 15:00 Voir les lots

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