Trop longtemps négligé par les institutions, Vasarely s’affirme aujourd’hui comme l’un des représentants les plus importants de l’art cinétique, grâce à la brillante rétrospective que lui consacre ce printemps 2019 le Centre Georges Pompidou. En accord avec l’idéal de Gesamtkunstwerk qui était au cœur des avant-gardes constructives dans les années 1920-1930, Vasarely, qui s’était formé au sein du Bauhaus hongrois, le Mühely, a élaboré une méthode de création visant à mettre l’art à la portée de tous. Ce projet utopiste de réconciliation de l’art et la vie, initié dès le début des années 1950, fut soutenu par une activité plastique et théorique intense. Il déboucha, lors de la décennie suivante, sur l’avènement du « Folklore planétaire » et son corollaire immédiat, l’« Alphabet plastique ». L’idée de Vasarely, féru de cybernétique, était de mettre en place un principe de création pictural programmatique, codifiable en chiffres et en lettres, afin d’en explorer l’infini des ressources combinatoires. Le tableau que nous présentons à l'occasion de la vente d'Art Moderne et Contemporain du mercredi 22 mai 2019, VA-22 Barson (1966-1969), repose donc dans son organisation compositionnelle, sur une codification rigoureuse de ce que l’artiste appelle les « unités formes-couleurs », éléments géométriques permutables de couleurs posées en aplat sur la toile. Pour ce type d’œuvres, la technique de recherche repose à l’origine sur un abécédaire de 15 fonds-formes découpés dans du papier de couleur vives (20 tons) comprenant 6 gammes nuancées (jaune, comme ici, mais aussi rouge, bleu, vert, mauve et gris), allant du très clair au très foncé, chaque élément étant mobile et facilement permutable. On voit comme l’artiste exploite les possibilités du mouvement optique en recourant au principe organisationnel et non hiérarchique de la grille. Son intérêt pour ce modèle structurel, auquel l’enseignement reçu au Mühely l’avait sensibilisé, exprime la volonté de dépasser la subjectivité de l’artiste et d’exercer un contrôle sur les éléments constituants du langage plastique.
Lot 45 - ƒ Victor Vasarely (1906-1997)
VA-22 BARSON, 1966-1969
Acrylique sur panneau
Signé en bas à droite
Contresigné, daté et titré au dos
80 x 80 cm
Estimation : 30 000 - 50 000 €
Si Vasarely s’autorise à introduire des éléments perturbateurs dans le modèle orthonormé de la grille, c’est pour mieux stimuler l’œil du spectateur : « Non seulement, l’art cinétique tient compte du fait que le spectateur construit sa vision (par la vision stéréoscopique des deux yeux et le balayage constant du champ visuel), mais, en plus, joue avec cet aspect actif de la vision, notamment en recherchant toutes les conditions ambigües qui font que cette vision ne peut se stabiliser sur une interprétation, mais est obligée d’osciller de l’une à l’autre. 1 » Afin de renforcer le processus de perturbation visuelle ainsi déclenché, Vasarely joue des dégradations subtiles et lumineuses du gris et du jaune, dans des teintes allant du plus foncé au plus pâle. Ces mutations morpho-chromatiques suscitent des sensations de mouvement de la surface, des effets de profondeur, de contraction, de dilatation et de vibration qui défient en permanence les habitudes perceptives du spectateur. Elles trahissent la conception originale qu’avait Vasarely de la création, celle-ci reposant sur une appréhension holistique du monde où l’artiste ne se situe plus en observateur distancié de la nature : elle est, écrit-il, une « identification aussi bien à la nature cosmique, qu’à la nature mathématique ou géométrique et même, pourquoi pas, à la nature physique ou chimique. De toute façon, l’artiste n’est plus l’observateur, le spectateur ou même l’être sensible qui, à la vue des êtres et des objets, se met dans un état de transe. Il participe, par le fait même qu’il est matériellement parlant la nature, au même titre qu’un arbre ou un nuage ; il participe au tourbillon matière, énergie, mouvement, temps, ondes. 2 » Loin d’être une codification systématique et une froide géométrisation, les œuvres de Vasarely, soustendue par une vision hallucinée et lyrique du monde, exprimaient avant tout le songe cosmique de l’artiste, celui d’échapper à toute limite matérielle pour s’étendre au-delà du commensurable : « Porté par les ondes, je fuis en avant, tantôt vers les atomes, tantôt vers les galaxies » 1 Vasarely, "Vasarely plasticien, un homme et son métier", Paris, Robert Laffont, p. 185. 2 Vasarely, "Plasti-cité. L’Oeuvre plastique dans votre vie quotidienne", op. cit., p. 47.
