La dernière grande exposition collective qui se soit tenue sous la bannière du groupe surréaliste a été inaugurée en 1959 à la galerie Daniel Cordier, à Paris : André Breton avait décidé de l’intituler « Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme », introduisant, comme par effraction, dans une formule assez banale, quatre capitales formant le mot EROS. Le souvenir de cet événement laisse à penser que l’érotisme a été une valeur cardinale du surréalisme. Sarane Alexandrian — qui fut très proche de Victor Brauner, et exclu avec lui du groupe en 1948 — a bien montré qu’il s’agissait là d’une illusion rétrospective. Le mot « érotisme » lui-même a mis du temps à intégrer le vocabulaire des compagnons de Breton, et sa définition dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, en 1938, donne le ton : « Érotisme : Cérémonie fastueuse dans un souterrain ». Breton aura presque exclusivement marié Éros à Thanatos, sous les voûtes d’une cave obscure ; dans Le Surréalisme et la peinture, il cite Georges Bataille, à qui il est d’usage pourtant de l’opposer : « Qui se flattera de braver à la fois, sans sourciller, le préjugé et l’interdit, se trouvera hors d’état de traiter de l’érotisme, dont il aura méconnu, à travers sa propre conscience, le besoin fondamental de transgression », se contentant d’à peine nuancer le propos (« [...] tout n’est pas nécessairement si noir que le veut Bataille »). Il ne fait aucun doute qu’avant-guerre, Victor Brauner a partagé ces vues : les encres et aquarelles de la série Anatomie du désir, en 1936 (elles sont désormais conservées au Centre Pompidou) montrent des corps de femmes tout à la fois désirables et menaçants, dotés de prometteuses « antennes sexuelles » ou « poignées de soutien », mais aussi de becs à cisailler et de ventouses ... Après-guerre, l’éloignement d’avec les membres fondateurs du surréalisme, la découverte des arts premiers et la lecture émancipatrice des livres de la psychanalyste suisse Marguerite Sèchehaye ont orienté Brauner dans une toute autre voie, celle de la représentation en peinture d’une sexualité débridée et librement assumée, exempte des larmes qui, chez Bataille et Breton, sont l’attribut d’Éros. Il s’agissait pour l’artiste de remonter en amont de l’inquiétude et de la culpabilité, vers quelque chose qui toucherait à la magie des premiers âges, à un pansexualisme rédempteur dont seuls les arts de l’Inde, de l’Afrique et de l’Océanie étaient encore susceptibles de donner une idée : ce n’est pas un hasard si le tableau de 1964 qui se présente comme l’impeccable idéogramme d’un accouplement a été peint à « Sepik ». Victor Brauner avait en effet donné à l’un des ateliers où il travaillait, dans sa maison de Varengeville, en Normandie, le nom d’une des plus célèbres vallées de Papouasie-Nouvelle Guinée, d’où nous ont été rapportées maintes figures de corps sexués que les puritains, et les libertins qui sont au fond leurs complices, diraient d’un commun accord parfaitement « impudiques » : mais les mots « pudeur » et « impudeur » avaient cessé d’avoir un sens dans la peinture de Brauner dès 1949, date de ses Onomatomanies. Vulves offertes et pénis en érection y abondent sans que l’on songe une seconde à juger cette imagerie égrillarde, gauloise, inopportune ou scandaleuse. Elle est le fruit d’une vie entière passée à retrouver un monde d’avant la chute, un monde d’avant le péché, où le plaisir n’était ni simple satisfaction d’un besoin — il n’y aurait pas de culture, dans un monde exclusivement préoccupé de l’assouvissement des instincts — ni sombre volupté de la transgression : un pur mystère sans culpabilité ...
Didier Semin
Lot 21 - Victor Brauner (1903-1966)
Composition, 1964
Huile sur toile
Porte le cachet de l'atelier Victor Brauner au dos sur le châssis
64 x 80 cm
Estimation : 120 000 - 150 000 €
